J'ai rapidement parcouru le livre de base, mais ayant joué à la version précédente ce survol suffit pour donner un premier avis.
Bonne surprise, que laissaient présager le Flashpack et la jolie couverture, la maquette et les illustrations ont été refaites par rapport à la version originale : exit les Big Jim et les Barbies sur fond vert, la version française est un bouquin lisible et agréable. Exit aussi la couverture grotesque de l'ancienne version française (pas celle d'Alain Gassner, l'autre).
Le livre de base de Cyberpunk 2020 était plutôt fouilli, Cyberpunk 3 est clair, organisé en chapitres logiques et pratiques à utiliser. Petit détail génant, il n'y a pas de bibliographie et pas d'index, cependant la table des matières est complète et les données techniques des talents et du matériel sont regroupées à la fin, et donc faciles à retrouver. En fait, c'est un coup à prendre.
La première chose qui frappe l'oeil : le livre est dense, il y a tant d'informations qu'on se sent submergé par le matériel proposé. Cette apparente lourdeur contraste avec la volonté de faire simple affichée dans l'avant-propos, et pourtant on peut vraiment commencer à jouer après avoir lu seulement quelques pages : une dizaine de pages de règles suffisent pour le système de base et 26 archétypes prêts à l'emploi permettent de créer un personnage rapidement. Il n'y a plus qu'à avoir un scénario, et basta ! Dans le dernier tiers du livre, la création complète de personnage est décrite si on préfère tout gérer soi-même, et les règles avancées apportent un tas d'options pour augmenter le réalisme ou donner une approche tactique aux combats.
Les règles conservent les mêmes principes que l'ancienne version : caractéristique + compétence + 1d10 contre un autre jet de dés dans le cas d'une opposition ou contre un niveau de difficulté. Ce n'est ni plus ni moins que le principe du d20 avant l'heure (et avec un d10 :-) On a échappé à l'apprentissage d'un nouveau système pour justifier la nouvelle édition du jeu... La technique a été dépoussiérée, a priori dans le bon sens, en intégrant des idées de FUZION. La création du personnage est vraiment facilitée par les archétypes et la description de chaque culture, qui comprennent aussi l'équipement standard et le style de vie du rôle. La conversion d'un ancien personnage n'est qu'une formalité et prend moins d'une page. À l'inverse, les options de combat sont nombreuses et toutes les utiliser risque de complexifier la partie à moins de les ajouter progressivement aux règles de base. Le combat est particulièrement mortel, ce qui est réaliste vu les armes employées, mais diminue d'autant l'héroïsme des personnages : on est dans du cyber dangereux et violent, et un perso mal préparé termine au cimetière. Après, si on veut faire plus Hong Kong, réalisme et jouabilité ne feront pas bon ménage et il faudra ajouter quelques points d'héroïsme parce que, oui, une décharge de calibre .12 dans la poitrine ça fait mal et qu'un gilet en kevlar n'arrête pas un lance-flamme...
La plus grosse déception, comme d'habitude me direz-vous, vient du chapitre dédié aux netrunners, expédié en une dizaine de pages. Le nouveau background est différent mais OK : un virus a détruit la matrice et le réseau n'est plus mondial (mais qui pourrait croire ça !!!). Chaque structure dispose d'un intranet sur lequel le hacker doit physiquement se connecter, avec un câble ou en wifi à quelques dizaines de mètres. Impossible de casser une protection à l'autre bout du monde, les personnages devront se déplacer pour attaquer un réseau. Au danger des programmes informatiques et de la proximité des défenses du site s'ajoute celui des constructs : grâce à une technologie très manga (genre Guyver), les protections numériques peuvent se matérialiser dans la réalité pour pourchasser les intrus. Un programme chien d'enfer qui n'arrive pas à repousser le pirate risque donc d'émerger d'un mur pour traquer le contrevenant, dans une ambiance digne des chiens de Tindalos... Dans l'ancienne version, se balader dans la matrice était plus compliqué et coupait les hackers du reste de l'équipe, qui s'ennuyait pendant ce temps. Le nouveau système transforme le piratage en action collective, mais l'idée de base - qui est pas mal - n'est pas développée plus que ça. Il n'y a donc pas de stratégie particulière pour pirater une base de donnée et l'exemple proposé ressemble plus à un donjon (oui, une exploration à la D&D !) qu'à une infiltration technologique. De même, si l'idée de matérialisation dans le réel est sympa, vu le nombre de hackers et de protections qui équipent les sites sensibles, le monde en 2030 à proximité des bureaux des corporations doit ressembler à la nuit des morts-vivants version Matrix, avec des constructs arpentant les rues pour chasser les pirates. Il faudra donc retravailler soi-même ce concept si on compte utiliser l'informatique dans les scénarios voire même le jeter à la poubelle pour en construire un qui fonctionne.
Passons au background. Le nouvel univers de jeu est un gros kit qui mélange un peu tous les concepts du cyberpunk. La lecture m'a évoqué des BD comme Golden City, Vixit tueur de ville, Gipsy, Gunnm, Carmen Mac Callum, Yiu, Aquablue, Appleseed, Dayak, Morbus Gravis, Jeremiah... On retrouve un peu de tout, et donc plein d'idées et d'ambiances, mais on a du mal à croire que les différentes "cultures alternatives" puissent évoluer chacune de leur côté en créant un patchwork d'environnements autogérés et bien délimités. Par contre, on ne peut rêver mieux comme boîte à outils pour construire un backgound à sa sauce ou adapter une BD : il n'y a qu'à puiser ce qui nous intéresse, sans perdre trop de temps à tout réécrire, les altercultures étant suffisamment typées et complètes pour être utilisées en l'état. On ajustera leur background, mais les règles sont déjà là.
L'influence du manga (qui a toujours été un des dadas de R. Talsorian Games, bien avant que ce ne soit la mode d'en mettre partout), les aides de jeu, les conseils et le regard assez juste sur le monde moderne de l'informatique, de l'information et des affaires ajoutent un petit côté réaliste et font passer les délires plus technologiques sur la génétique et la robotique - qui ne sont pas impossibles, mais pas en 2030 ; cela dit, le monde de cyberpunk n'a jamais été le nôtre, il suffit de lire la chronologie officielle pour s'en convaincre :-) Les nouvelles technologies ne se mettent pas moins au goût du jour et apportent aux personnages la nanotechnologie, les modifications génétiques, les méchas ou encore la possibilité d'interpréter un androïde. La cybernétique traditionnelle des années 2020 reste disponible si on souhaite jouer à l'ancienne ou panacher le matos.
Cyberpunk 3.0 est très complet et offre une boîte à outils exhaustive pour mettre en scène et gérer n'importe quelle aventure dans un univers contemporain ou futuriste. À la carte est le maître mot de cette version, puisque côté règles on peut rester léger ou ajouter une multitude d'options ; et plus encore avec les suppléments de Cyberpunk 2020, de FUZION, de Mekton Z ou de Bubblegum Crisis.
Cette adaptabilité de Cyberpunk 203x est aussi son défaut : on peut créer tous les mondes possibles mais il n'y a pas de véritable monde tout prêt, avec un style qui accroche. Si on cherche un jeu clés en main, il faudra soit faire le tri dans ce qui est proposé, soit le compléter d'un background plus précis ; par exemple en utilisant le module Night City ou la campagne Firestorm pour Cyberpunk 2020, en mettant la main sur Cyber Age (qui propose un monde cyberpunk européen plus crédible), ou en se basant sur des BD pour offrir une vision claire de l'univers aux joueurs.
Bien sûr, on risque d'être déçu si on s'attend à un jeu d'ambiance aux principes autant novateurs qu'incompréhensibles, si on est ulcéré par le style direct "j'ai tout vu, j'suis un vieux punk chromé" de Mike Pondsmith (ce qui en un sens n'est pas faux, il a quand même survécu à Microsoft ^_^) ou si on souhaitait voir une photo exclusive de Barbie embrassant GI Joe... Mais si on cherche un bon vieux cyber, ou un renouveau du genre, tout est là pour bien s'amuser. Il n'y a pas grand chose à critiquer dans Cyberpunk 3.0, excepté le chapitre sur le piratage informatique et l'absence d'un scénario (il faudra acheter le Flashpack, livré avec un écran pour le MJ) ; peut-être un livre à couverture dure, plus résistant entre les mains de punks acharnés, et à venir une campagne bien structurée pour cadrer le nouveau background si on n'a pas le temps de développer le sien.
Personnellement j'apprécie les jeux complets dès le livre de base ainsi que les univers qui offrent une certaine liberté de manoeuvre lorsqu'il s'agit de jouer plus de deux ou trois parties (pas de méga-secret-pipo... à découvrir dans un futur supplément, pas de chronologie officielle tellement précise que la moindre incartade revient à tout réécrire). Cyberpunk 3.0 s'inscrit clairement dans cette voie. Il donne tout le matos pour jouer, plein d'idées et à la clé la liberté de faire ce qu'on veut avec.